| Directeur | |
CONTEXTE
Le directeur prit le premier dossier posé sur un tas, dans le coin de son bureau. Il le feuilleta d'un regard satisfait tandis qu'un rictus vénal étirait gentiment ses lèvres.
Un nouveau détenu arrivait dès mercredi.
Une nouvelle personne qui n'en ressortira pas de sitôt, voire jamais. Du moins, pas sans « lavage de cerveau ».
Amusé, il rangea précautionneusement le document dans un tiroir. Une joie morbide l'envahissait à la pensée qu'un nouveau pensionnaire viendrait se rajouter à son cher troupeau. Une nouvelle âme égarée déjà souillée des nombreux vices que cultivaient les Hommes…
° ° °
Quel humain pouvait s'imaginer qu'ici, au coeur des Alpes enneigées de Suisse, dans cette prison isolée et à l'abri des regards indiscrets, se cachait un repère de créatures fantastiques ? Les folklores, après tout, ne s'appuyaient inéluctablement que sur du réel, n'est-ce pas ? Les vampires, les loups-garous, les incubes, les banshees, et toutes les créatures imaginables foulaient la terre depuis des temps immémoriaux, restant silencieux pour leur propre salut. Mais de nombreuses créatures, avides de comprendre l'espèce étrange qu'étaient les Hommes, décidèrent de s'engager dans cette fameuse prison en tant que personnel, permettant ainsi au directeur de n'accueillir dans son univers carcéral que les plus dangereux humains. Ils avaient ainsi sous les yeux la lie de la société, les reniés, les êtres s'étant libérés des chaînes de la frustration inculquée par les moeurs.
Ainsi, les humains envoyés dans la prison de Pandemonium faisaient partie de la crème de leur catégorie ; les fléaux de l'humanité, ceux dont personne ne désiraient… ceux avec lesquels le directeur pouvait prendre un malin plaisir à jouer. Décidément, il avait fait un excellent choix en participant à la construction de cette prison, mais surtout en décidant d'en devenir le gérant. Les créatures qu'il logeaient se tenaient tranquilles, sous leurs formes humaines, et étudiaient les comportements viciés des humains enfermés ici. Certaines profitaient même de leurs passages à l'infirmerie pour s'approcher d'eux de manière plus directe. Il n'était donc plus rare de voir un vampire squatter celle-ci lorsque le besoin de sang frais se faisait douloureusement sentir. Il arrivait en de rares occasions que les créatures ne puisse se retenir au milieu de tant d'êtres grouillant entre les murs. Parfois, il y avait un ou deux meurtres, ce qui n'était encore pas très grave pour les affaires du directeur. Le pire concernait en général les vampires qui, parfois, ne parvenaient pas à enfouir leurs envies et transformaient par inadvertance un de ses prisonniers, le forçant ainsi à l'isoler des autres…
Cependant, il y eut rapidement un souci majeur ; le nombre d'humains commençait à augmenter et certains possédaient de plus en plus de soupçons au sujet de leurs étranges gardiens… Il fallait donc y remédier rapidement, au risque d'avoir une horde de criminels terrifiés sur les bras. Mais comment faire ? Les « lavages de cerveau » étaient bien trop longs, ceux-ci n'étant pratiqués que par des créatures capables de modifier les souvenirs, ce qui était plutôt rare. Le problème ne se posait toutefois pas encore, puisqu'aucun humain n'avait encore découvert le lourd secret de Pandemonium. Mais le directeur savait. Il savait que viendrait le temps où la façon de gérer cet endroit allait complètement changer, au risque que le secret couvert par la prison ne soit éventé, découvrant ainsi complètement les créatures folkloriques peuplant le monde.
Une chose était certaine pour cet homme avide ; les Hommes n'étaient pas prêts à découvrir la présence d'êtres bien plus forts qu'eux.
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